Comment structurer une histoire, un roman ? Les différentes étapes.
Structurer une histoire est difficile. Ne rien oublier, ne rien mettre de trop, maintenir l’enthousiasme du lecteur, doser les péripéties, instaurer une psychologie et une atmosphère auxquelles il croit, créer des personnages auxquels il s’identifie facilement, tout cela s’apprend.
J’ai créé mes romans d’instinct toute ma vie avec les difficultés que cela suppose. J’ai beaucoup tâtonné, erré. Pour finalement découvrir, plus que tardivement, qu’il existe une structure facilement adaptable à tous les romans, contes, nouvelles de tous genres.
Cette structure, tu la connais donc car tu l’as souvent lue à travers la majorité des livres que tu as dévoré, y compris à travers les films que tu as vu. Tu n’en as pas été conscient mais cette structure romanesque ou scénaristique t’emmenait à chaque fois où elle voulait. Le créateur est un gentil manipulateur, ne l’oublions pas. Si je dois te citer un exemple de cette structure quasiment plaquée à la lettre, c’est celle de La guerre des étoiles (le premier sorti en salle, en 1977.) Georges Lucas ne s’est jamais caché d’avoir lu les livres de Joseph Campbell et de s’en être inspiré pour construire son premier scénario. Tous les films de Star Wars qui ont suivi s’inspirent de cette structure. Maintenant, tu pourras t’amuser à les décortiquer en les revoyant !
Joseph Campbell a écrit le premier un livre qui a fait date et le fait encore sur le sujet. Il y avait eu auparavant d’autres écrits concernant les histoires, contes, légendes, le folklore, mais ils n’avaient pas rencontré un succès populaire, sans doute parce qu’ils étaient confinés à une sphère d’érudits. Je te conseille de lire ce livre qui connu le succès et a fait prendre conscience aux écrivains et scénaristes que les histoires de toutes les civilisations contiennent toutes des éléments équivalents : Le héros aux mille et un visages. C’est du reste en partie de ce livre dont je m’inspire pour t’écrire cet article.
Dans les années 1970, Christopher Vogler, stagiaire à Hollywood le découvrit, le lut, et le trouva si extraordinaire qu’il en tira la substantifique moelle dans un mémoire qu’il rédigea et qui se mit à faire le tour des studios, à sa grande surprise. Les scénaristes ne le lâchaient plus et je crois bien qu’ils ne le lâchent toujours pas. Je regardais dimanche Iron Man 3 avec ma fille et j’y ai retrouvé la structure entière que je vais te décrire. Allons-y !
La structure du best-seller ou du blockbuster se divise en 3 actes. Tu peux attribuer en gros 25% de l’histoire à l’acte 1, 50% à l’acte 2, et à nouveau 25% à l’acte 3.
Acte 1
L’auteur présente les personnages, leurs enjeux, la période historique, l’atmosphère, etc. Bref, il expose tout ce qui met en place l’histoire et nous suggère de quoi va parler cette histoire.
Il est important d’y semer des indices, des micros-événements qui feront basculer plus tard cette histoire vers l’action (cela fonctionne de la même manière même pour un roman psychologique.)
Pivot 1
Ce pivot arrive à la fin de l’acte 1. Un pivot est un moment qui apporte l’annonce d’un changement important et fait bifurquer le héros de ses habitudes (voyage, nouveau travail, etc.) Cela peut être du à un choix, un accident, un événement imprévu, etc. Il annonce l’acte 2.
Acte 2
Le héros fait connaissance avec un nouvel environnement. Le décor change. Il peut faire de nouvelles rencontres. Souviens-toi d’Harry Potter dans le train, se dirigeant vers Poudlard, là où il rencontre pour la première fois Hermione et Ron… Il entre de plein pied avec son histoire. Et pour le lecteur, l’histoire commence vraiment. Il a maintenant suffisamment d’éléments pour comprendre le héros (si c’est un groupe de héros, un clan, cela fonctionne aussi de la même façon.)
A l’intérieur de cet acte 2, tu trouves deux grandes parties :
Une 1ère partie, dite Fun and games (expression de Blake Snyder, grand scénariste américain qui a même vendu l’un de ses scénarios à Spielberg.)
Une 2ème partie, dite Ventre de la baleine (cette expression est de Joseph Campbell.)
Tu vas voir, c’est simple :
1ère partie, Fun and games
Le héros est plutôt bien et détendu, il est même enthousiaste et le lecteur se laisse prendre aussi au jeu. L’atmosphère de son nouvel environnement est sympathique. Tout baigne. Pas de tension. Cette partie mène au pivot n°2.
Pivot 2
Soudain, plus rien ne va ! Un événement, un accident, une découverte conduit le héros à un point de non-retour. L’ambiance retombe comme un soufflet. La tension monte. A ce stade-là, tu te trouves à la moitié de l’acte 2 et donc de toute l’histoire. Bien entendu, ceci reste théorique et tu peux rendre des distances par rapport à cette structure. Néanmoins, elle est un excellent guide duquel tu peux t’inspirer, à ta manière bien entendu.
2ème partie, le Ventre de la baleine
Nous entrons dans le drame. Tout devient beaucoup plus grave, les événements, les péripéties s’enchaînent sans répit, le héros se sent englouti. Dans les contes et légendes, l’atmosphère est tellement noire que l’histoire peut se dérouler dans des souterrains, des forêts bien sombres, etc. Dans un policier, ce peut être la nuit. Dans mon roman Racines mêlées, cela se passe sous un soleil fou qui brûle la terre comme une braise. Bref, veille à ton atmosphère.
Pivot 3
Là, un événement encore plus dramatique va submerger notre héros. Il faut que ce soit grave : une mort, une trahison, un échec… Le héros est plongé dans une impasse. Il pense ne jamais s’en sortir. Quant à nous, nous nous demandons s’il va s’en sortir et comment ?
Mais le héros -qui a forcément grandi d’un point de vue psychologique durant toute cette histoire- parvient à prendre du recul et considérer les événements dans lequel il est plongé sous un œil différent. C’est la révélation. Il peut avoir une illumination, découvrir un secret, trouver une preuve, bref il trouve une solution à son problème.
Acte 3
Le héros est acheminé naturellement vers l’acte 3. Puisqu’il a trouvé la solution, tous les nœuds dramatiques noués depuis le commencement de l’histoire se dénouent. Tout trouve sa résolution. Pour cela, il va passer par la scène qui est souvent la plus dure de l’histoire :
Le climax
En général, le héros se trouve face à son adversaire. C’est une lutte, une bataille. Dans un policier, le flic se trouve face au voyou. Dans un roman psychologique, c’est souvent un face à face entre deux personnages et le duel sera souvent un dialogue. Bref, c’est la fin avec sa solution ou sa résolution.
Cette fin, il faut qu’elle soit à la fois surprenante mais plausible. C’est là toute la finesse et la difficulté de cette fin. Ne pas décevoir le lecteur, penses-y.
Evidement, si tu ne choisis pas une happy end, c’est malgré tout une résolution -radicale- à tout les problèmes du héros : sa fuite, sa mort, son emprisonnement, sa déception, etc.
Le voyage du héros
Finalement, ce qui compte, tu l’auras saisi, c’est d’amener, à travers des péripéties qui mettent en scène la vie, ton héros d’un état à un autre. De le transformer, lui donner une nouvelle maturité. Il pourra en faire ce qu’il veut : décider de revenir à son point de départ avec un regard neuf sur l’existence ou s’en éloigner à tout jamais et explorer une autre manière d’être au monde. Cette histoire qui l’emmène d’un point à un autre, c’est ce que, dans son ouvrage Le héros aux mille et un visages, Joseph Campbell a nommé « le voyage du héros », c’est-à-dire sa quête initiatique. Il distingue 17 étapes durant ce voyage. Là, je te l’ai un peu simplifié mais tu peux déjà bâtir une histoire qui tient la route avec cette structure. Elle suit exactement les grandes lignes décrites par Josep Campbell. Avec cela, tu es certain que ton lecteur ne va pas s’ennuyer et qu’il va parfaitement s’identifier à ton héros.
Les théoriciens qui s’occupent de narratologie ont observé des ressemblances au travers des milliers de contes, légendes, d’histoires lues et entendues à travers toutes les civilisations depuis la nuit des temps ; ils se sont énormément servis aussi des textes sacrés et de toutes les mythologies. Joseph Campbell a lui mis en relief cette structure narrative qui a ceci d’étonnant d’être commune à tous les peuples depuis toujours.
De quoi réfléchir sur notre structure interne, notre psyché, notre mémoire et inconscients collectifs. Pour cela, je te renvoie aux ouvrages du psychiatre Carl Gustav Young avec lequel Joseph Campbell était parfaitement d’accord puisqu’il pensait également que nous fonctionnons tous sur des archétypes.
Je t’ai simplifié cette structure parce qu’un article n’y suffirait pas. Si tu veux la connaître dans son entièreté, je te poste en bas de l’article des références de livres à lire. Tu peux trouver cette quête initiatique du héros telle que l’a théorisée Christopher Vogler dans Le voyage du héros, où il décrit ce qu’il considère comme les 12 étapes exactes de ce voyage qui transforme un simple homme, ou même un simple enfant, en héros et en mythe.
Cette structure que tu vas retrouver dans quasiment toutes les histoires et les scénarios, si tu te donnes la peine de les observer dorénavant, tu peux bien sûr l’utiliser pour ton propre roman. Il ne s’agit pas de la singer bêtement mais de la faire tienne, la nuancer, y apporter ta personnalité. Je pense qu’on écrit naturellement de cette façon, car cette structure est ancrée dans notre inconscient collectif, mais que de le savoir et la connaître peut t’aider à aller plus vite, et à rétablir plus facilement ce qui semblait te manquer dans ton récit et que tu cherchais sans le trouver, ou à ôter ce qui te semblait de trop mais que tu hésitais à supprimer.
J’espère que cet article t’aura aidé. Je lirai avec grand plaisir ce que tu penses de cette structure universelle d’histoire, qui façonne les grands succès, des best-sellers aux blockbusters.
Quelques notions complémentaires à creuser si tu en as l’envie et la curiosité :
Mircea Eliade était un romancier roumain, un historien des religions, mythologue et philosophe historien. Considéré comme l’un des fondateurs de l’histoire moderne des religions, il a écrit entre autres Le mythe de l’éternel retour, et le Traité d’histoire des religions.
Le mythe de l’éternel retour, Mircea Eliade
Vladimir Propp, russe, né en 1895,il analysa 31 étapes dans les contes de fées : Morphologie du conte. 1950. Il travailla beaucoup à partir des contes et du folklore.
Morphologie du conte, Vladimir Propp
Joseph Campbell, américain, proposa 17étapes signifiantes aux histoires et contes. Il publia Le héros aux mille et un visages en 1949, année où parurent le Traité d’histoire des religions et Le mythe de l’éternel retour de Mircea Eliade.
« Il n’existe pas de clef absolue pour l’interprétation des mythes et il n’en existera jamais. […] Les points de vue diffèrent selon ceux qui la jugent. Car, étudiée non pas en fonction de ce qu’elle est, mais en fonction du rôle qu’elle joue, de la manière dont elle a servi l’homme dans le passé, dont elle peut le servir aujourd’hui, la mythologie se révèle tout autant que la vie, soumise aux obsessions et aux besoins de l’individu, de la race ou de l’époque »
« Un héros s’aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodiges surnaturels : il y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à ses proches. »
Le héros aux mille et un visages
Le monomythe est un concept qu’il développa dès les années 40 : il pensait que tous les mythes du monde racontent la même histoire sous des formes, des variations diverses.
Le héros aux mille et un visages, Joseph Campbell
Christopher Vogler, américain,jeune stagiaire aux studios Disney, lut Le héros aux mille et un visages alors qu’il avait la charge fastidieuse d’écrémer des piles de scénarios pour découvrir la perle rare. Il rédigea alors un mémo de 7 pages, Un guide pratique du héros aux mille visages, sur les structures d’histoires qui lui semblaient fonctionner, s’inspirant du travail de Joseph Campbell. Son mémo fit le tour des studios, facilitant énormément le travail de tous les autres stagiaires à la recherche du scénario rare. Leurs choix se faisant plus efficaces et pertinents, les cadres s’intéressèrent à son mémo, son travail et lui-même. Il est ainsi devenu un des consultants en scénarios les plus connus au monde. Il a travaillé sur Le Roi Lion, le Cercle Rouge, Anna et le Roi… Devant le succès de son mémo, il écrivit Le Guide du Scénariste (The Writer’s Journey), considéré comme une bible par les écrivains de scénarios. Il a donné en 2012, parrainé par Alexandre Astier, une masterclass à Lyon ! Ca a dû être un grand moment…J’aurais aimé y être ! Et il y en a eu d’autres. Je te laisse te renseigner si cela t’intéresses d’y participer.
Le guide du scénariste, Christopher Volgler
N’oublie pas de me donner tes retours dans les commentaires. Et d’écrire avec passion.
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Merci pour cet article très utile. Ce schéma est intuitif, comme Monsieur Jourdain l’auteur fait de la prose sans le savoir et construit son histoire. Mon premier roman a eu plus de succès que le second car sans le vouloir ce schéma existait. Je peux l’améliorer sans aucun doute et vos conseils sont précieux.
Merci de votre retour. Comme vous, j’ai écrit à l’intuition (la plupart de mes romans.) Les prochains, je les verrai sous un autre jour car je crois cette structure vraiment utile pour supporter les personnages. Et il n’est pas exclu non plus que j’en retouche quelques-uns… Bon travail pour votre deuxième roman.
Dans le voyage des héros le merveilleux peut émaner d »une surface plane:la page de l’écrivain,l’écran du cinéma,la toile du peintre…Qu’en est-il de l’hologramme? Vocable si à la mode dans le monde politique!serait ce un un plan méprisable et non transcendant parce trop « virtuel ».Laure cet article fut fort complet,documenté.
MF,
L’hologramme, c’est le cinéma de demain. Le virtuel est déjà là, il ne fera que prendre de plus en plus de place dans nos vies. Les héros du monde moderne sont déjà sur youtube aujourd’hui ! Et le youtube de demain sera holographique. Et ça va arriver vite. Enfin, je crois.
Bonjour, Laure !
Cette structure universelle va beaucoup nous aider. Je la trouve très intéressante, parce-que l’on peut l’utiliser, la façonner, s’imprégner de l’ossature générale, tout en restant libre de la personnaliser en fonction de notre récit
Merci Laure, de l’avoir simplifiée pour nous.
bonjour Laure…c’est amusant j’avais décidé de suivre les schémas des contes de fées lorsque j’ai lu cet article! j’ai commandé illico 3 des ouvrages conseillés …
Décidément votre blog est passionnant et réconfortant. j’ai fait des choix instinctifs ( ou que je pensais instinctifs qui sont parfois la photographie de tout ce que j’ai pu lire dans ma vie !) ou réfléchis, mais à chaque fois ce que je lis dans vos conseils appuie mes résolutions.
Et elle fut heureuse et écrivit beaucoup de livres… Merci Laure !
Béatrix,
« Et elle fut heureuse et écrivit beaucoup de livres » , je la garde en mémoire, excellente chute ! J’espère que les trois ouvrages vont te plaire. Merci pour ta confiance.
Bonsoir,
C’est très rigolo, j’ai fait la même chose… mais à l’inverse j’ai décidé que ma princesse ferait le contraire de ce que ses marraines les fées attendent ! en gros elle ne veut pas se marier et avoir d’enfant ^^ ! un peu dans le flou quant au schéma j’avais opté pour le conte de fée… mais bon je n’y crois plus (aux fées) alors j’ai acheté le héros aux mille visages !… et je continue avec mon histoire de faux conte…
Très casse-gueule comme option, Béatrix, mais les codes peuvent être bousculés, ça n’en devient que plus intéressant et ça crée aussi la surprise. Et puis les princesses, les fées et les princes charmants, franchement ça demande du dépoussiérage, tu n’as pas tort : ce n’est plus adapté à ce que nous sommes devenues.
Bonjour Laure ! Merci pour cet article hautement instructif. Celui-ci m’aidera à coup sûr dans la structuration de mon roman. Parce que je l’avoue, j’ai des petits soucis à ce niveau. Avec votre article je réalise que la structuration d’une histoire est aussi importante que l’histoire elle-même.
Bonjour. Oui, la structure donne aussi un rythme, du suspense, bref, elle accroche ou pas le lecteur. Bon travail !
Une structure universelle qui marche bien mais qui explique pourquoi on s’emmerde (pardon) devant les films américains et les livres mainstream. Tout est très attendu..
JenG,
Oui, parce que ce sont des produits de consommation seulement, c’est vrai.
Cette structure, on peut la suivre platement ou l’adapter plus librement, avec de la créativité, et même la rendre quasiment invisible.
Elle explique aussi pourquoi les meilleurs romans nous transportent… Cette structure est humaine, pas américaine 😉
Oh merci, Apologue ! C’est exactement ça !