Une semaine, un texte : défi numéro 4 avec le mot diviseur
Comme chaque semaine, j’ai tiré au hasard un mot du dictionnaire.
Pas très glamour : diviseur.
Dans mon Larousse, entre autres, j’ai lu : personne qui est une source de désunion. C’est cette définition qui m’a intéressée.
Le Diviseur
Le diviseur ou le plus petit dénominateur commun… Dénominateur commun ? Non : dynamiteur commun plutôt ! Et diviseur…
Excessivement Diviseur.
Depuis qu’elle s’était marié avec ce type – elle ne parlait plus de lui avec des mots tendres mais évoquait plutôt le type avec qui elle s’était mise, l’abruti qu’elle avait épousé, ce gars qui l’avait séparée du monde entier, amis, connaissances, famille, etc – elle n’avait plus vu ses parents qui vivaient à cinq cent kilomètres, ni ses soeurs. Elle le surnommait dans ses discours intérieurs, haineux, on le comprendra aisément, le Diviseur, parfois le Séparateur, d’autres fois le Cogneur. Mariés depuis six mois, ils étaient plus ennemis que les frères Karamazov. Il avait montré son vrai visage très rapidement : le troisième jour, elle avait ramassé une énorme claque. Une semaine après deux gifles. Deux mois après, des coups de pieds. Au bout de six mois, il en était au stade limite du lynchage. Maintenant, il n’y avait plus de copines pour la plaindre, la consoler, lui dire de foutre le camp. Trop tard. Elle était attachée solidement par une chaîne dans la cave depuis deux jours. Il lui avait emmené à manger deux fois mais elle n’avait pu boire qu’une fois.
Il avait les yeux vitreux et les mains énormes d’un type shooté vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Durant ces six mois, elle ne l’avait jamais vu chercher du travail. Elle, elle se levait à cinq heures du matin, prenait le premier bus, puis le RER, descendait à Châtenay pour bosser dans un bel hôtel. Sa paye fondait au soleil mystérieusement depuis des semaines car il la dépensait, tandis qu’elle trimait, en cigarettes rigolotes, croyait-elle, et autre chose mais quoi ? Elle avait comprit deux jours auparavant quand elle l’avait vu défoncé, vraiment défoncé. Elle était rentrée plus tôt ce soir-là parce qu’une collègue, Marie, l’avait emmenée en voiture. Elle l’avait trouvé trop épuisée et démoralisée pour la laisser au train-train épuisant et habituel du RER-bus.
Elle avait ouvert la porte de la cuisine. Il se tenait là avec tout son barda sur la table : la seringue, la dose, l’élastique, la petite cuillère noircie. Les coups avaient plu avant qu’elle ait eu le temps d’ouvrir la bouche. Elle ne l’avait pas ouverte. Trop occupée à encaisser et rester vivante, en boule, à terre. Et dire qu’elle avait cru être heureuse avec un fou, un camé ! Il ne touchait même pas au pétard six mois auparavant ! Du moins l’avait-elle cru… jusque-là.
Et maintenant ? La chaîne tirait sur ses poignets cisaillés, fermée par un cadenas, passée au tuyau de la chaudière. Elle avait mal, froid, peur. Peur ? Elle était terrorisée. Pendant qu’il vidait son compte en banque et se défonçait depuis deux jours, elle suppliait le ciel qu’une copine passe, ses parents débarquent, peu importe, mais qu’un humain entre dans cette maison et prenne la mesure du désastre. Pas moyen de crier non plus. Il ne lui enlevait le bandeau que pour manger. De toute manière, qui l’aurait entendue dans cette cave ?
A-t-on envie de mourir à vingt-trois ans ? Et a-t-on jamais envie de mourir assassinée par l’homme qu’on a aimé ? Ok, elle l’avait surnommé le Diviseur dès le premier mois. Ou l’abruti ou le type. Ou le Séparateur, ou le Cogneur. Elle aurait mieux fait de prendre ses jambes à son cou. Elle ruminait, en pleurs. Quand il l’avait séparée de tout son entourage, le fumier, il savait ce qu’il faisait ! Dans les limites de sa folie, évidemment. Se marier à un dingue schizophrène et drogué ! Comment avait-il réussi à lui cacher tout cela ? Un parfait compagnon, même s’il était au chômage et cherchait du travail, voici ce qu’il avait été jusqu’au jour où le maire avait prononcé les mots censés la rendre heureuse. Le fumier hypocrite ! Et maintenant ? La chaîne aussi, il s’agissait de la diviser, la couper, la sectionner. Mais comment ? Il n’y avait qu’un seul Diviseur, et c’était lui. Ici, pas de marteau, de scie, de pince coupante, rien. Il avait fait le tour de la cave et avait viré tout ce qui aurait pu lui permettre d’envisager des jours meilleurs.
Elle avait soif, très soif.
On était jeudi. Elle avait disparu depuis lundi soir. La dernière qui l’avait vu était sa collègue Marie, la fille, plutôt sympathique, qui avait eu la gentillesse de la raccompagner à son grand étonnement. Les copines n’appelleraient probablement pas, il avait réussi à les chasser de sa vie à une vitesse surprenante. Dans la voiture, elle s’était laissé aller à des confidences avec Marie. Elle lui avait raconté son enfer, sa terreur. Marie avait voulu l’accompagner au commissariat, elle lui avait dit qu’il fallait qu’elle le balance, mais elle, qui en rêvait, était si terrifiée qu’elle n’avait pu sauter le pas. Marie tremblait visiblement au volant de sa voiture quand elle en était descendue pour retourner à son pavillon et à son Diviseur.
Quand la porte de la cave s’ouvrit avec fracas dans les hurlements de sirène de police, que les quatre policiers ouvrirent en une seconde le cadenas de sa chaîne avec la clef prise dans la poche du Diviseur, quand elle vit le Diviseur à terre, un filet de sang lui dégoulinant du nez, elle connut le plus grand soulagement et la plus grande joie de son existence. Elle ne devait rien connaître de plus puissant de toute sa vie. Echapper à la mort provoque une émotion qui n’est pas reproductible, sauf en mettant en action les mêmes mécanismes terribles. Mais elle ne devait heureusement plus jamais rencontrer l’horreur de se voir mourir. Tout lui laissa en même temps un souvenir confus, comme un brouillard, du bruit, de l’action, des cris, le temps précipité, les secondes accumulées aux secondes dans un tourbillon puis, à l’air libre, dehors, devant les trois voitures de police, elle comprit enfin : Marie était là, à côté d’un homme grisonnant en pardessus mastic.
Et malgré sa bouche pâteuse, sa langue creusée par la soif, elle réussit à crier dans une explosion de joie :
– Alors Marie, c’est toi !
– Oui, dit simplement Marie en la prenant dans ses bras, c’est moi. Quand j’ai vu que tu ne revenais pas à l’hôtel… Et se tournant vers l’homme souriant :
– Tu comprends, je te présente mon père ; il est commissaire DIVISIONNAIRE.
Malgré sa gorge en feu et sa langue râpeuse, elle éclata de rire.
Mes commentaires :
J’ai écrit facilement sans savoir ou j’allais après 30 secondes de frustration parce que diviseur est un mot que je ne trouve pas glamour du tout, il me fait penser aux mathématiques, pour lesquelles je n’ai aucune attirance. Le tout est d’écrire à peine ai-je tiré mon mot, surtout ne pas réfléchir, laisser faire. Si j’avais commencé à penser et chercher des idées avant d’écrire, il est certain que je n’aurais rien rédigé car j’aurais été frappé par l’indigence de mon imagination ! Je dois avouer que je trouve ce texte particulièrement cliché. Heureusement qu’il y a l’ironie de la chute qui me rachète à mes propres yeux. Et puis il y a cette énième bronchite que je traîne depuis quinze jours, qui a jeté mes vacances aux orties : pour bien écrire, mieux vaut être en parfaite santé. Prenez soin de vous, amis écrivains !
Et n’oubliez pas de lire le défi précédent avec le mot réciproquer : rires garantis !
Et vous, que pensez-vous de ce texte ? Postez-moi un commentaire ci-dessous ; je serai ravie de vous lire.
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Laure,
En effet la chute inattendue( et attendue comme telle…) est bien venue par rapport à la longueur du texte » cliché », mais n’est il pas en lui-même la chute physique harrassante des personnages dans leurs problémes psychologiques qui est bien décrite.Donc le thème est bien traité
Oui, la chute rapide est corrélée à l’épuisement physique et psychologique des personnages. Il faut que d’un coup tout prenne fin car ce n’est plus possible de vivre ça -surtout pour elle. Je n’ai pas de pitié pour lui. Merci Marie-Françoise.