Comment écrire un roman vraisemblable : 4 trucs infaillibles
Comment donner un air réaliste même à un roman d’imagination débridée ? 4 trucs infaillibles…
1 Le monde est imparfait
Ne décrivez pas un monde parfait où tout semble toujours trop à sa place. En réalité, la porte de l’armoire grince, la terrine de lapin est quelquefois trop salée, votre belle-mère a décidé de s’inviter à Noël ! La température est celle de saison -si cela convient à votre histoire- mais il vaut peut-être mieux qu’une chute de neige inhabituelle pour la saison, ou même historique, bloque le passage, dans la forêt, à votre héros alors qu’il va visiter sa mère ou part à la recherche de la femme qu’il aime. Ou votre héros est atteint de cancer quand il prend sa retraite, etc.
Si vous manquez d’idées, fouillez du côté de mes articles sur les situations dramatiques dans le roman. Non, la vie, dans les livres, n’est pas un long fleuve tranquille !
2 Ajoutez le fait vrai, le détail précis, qui rend tout crédible
Le fait vrai peut devenir une graine qui gêne le bel engrenage du récit, se présente comme un choc, un problème, ou une réalité incontournable qui rend l’histoire soudain plus intéressante et plus vraie. Tout à l’heure, c’était une chute de neige, ici, c’est… le vent !
« Mais le vent changea et se mit à souffler du nord : un vent froid, mais aussi enivrant, parce qu’au nord du Kif, il y avait les champs du meilleur haschisch du pays, et à cette époque de l’année les fleurs femelles étaient mûres et en chaleur. L’air était empli du parfum capiteux du désir des plantes et quiconque en respirait se retrouvait plus ou moins drogué. La béatitude hébétée des plantes affecta les chauffeurs du convoi qui n’arrivèrent au palais que par le plus grand des hasards, après avoir renversé un très grand nombre d’échoppes en plein vent de barbiers ambulants, et avoir défoncé au moins une maison de thé, laissant les habitants de Kif se demander si ces nouvelles voitures sans chevaux, après leur avoir volé leurs rues, allaient maintenant aussi leur voler leurs maisons. »
Où comment un simple fait, le vent qui se met à souffler du nord, précipite le récit dans une absurdité échevelée, lyrique et cocasse. Pour la suite, je vous laisse lire le roman, un bijou à découvrir absolument : Les Enfants de minuit, de Salman Rushdie.
Écrivez donc le petit détail qui change tout. Choisissez-le bien et le reste découlera naturellement. Optez pour un ton qui sent la vérité (je n’ai pas dit qui est la vérité) en présentant ce fait comme une évidence. Le travail de l’écrivain, c’est aussi de rendre plausible ce qui ne l’est pas !
Et bien entendu, il s’agit aussi des nombreux petits faits vrais, parlants, qui vont donner de la réalité au roman. Souvenez-vous des multiples détails qui nous plongent dans l’univers olfactif, physique, du Parfum de Patrick Süskind :
» Quand, ayant fini de prendre leur repas, les cannibales se retrouvèrent autour du feu, personne ne prononça un mot. L’un ou l’autre éructait un peu, recrachait un petit bout d’os, faisait discrètement claquer sa langue, poussait, d’un petit coup de pied dans les flammes, un minuscule lambeau qui restait de l’habit bleu. »
3 Les personnages sont de chair
Vos personnages possèdent une particularité, même minuscule, qui les rend vivants : une verrue, une touffe de cheveux blancs, une ride, des cicatrices, qu’importe, mais elles semblent réelles grâce à ce défaut qui les humanise et les caractérise. Au moral, c’est pareil. Un personnage idéal intéresse moins : on ne s’y reconnaît pas. On a du mal à s’y projeter.
« Mais que l’artiste me fasse apercevoir au front de cette tête une cicatrice légère, une verrue à l’une des tempes, une coupure imperceptible à la lèvre inférieure, et d’idéale qu’elle était, à l’instant la tête devient un portrait ; une marque de petite vérole au coin de l’œil ou à côté du nez, et ce visage de femme n’est plus celui de Vénus ; c’est le portrait de quelqu’une de mes voisines. Je dirai donc à nos conteurs historiques : Vos figures sont belles, si vous voulez ; mais il y manque la verrue à la tempe, la coupure à la lèvre, la marque de petite vérole à côté du nez qui les rendraient vraies… » Diderot l’explique admirablement.
Si vous manquez d’imagination, référez-vous à mes article sur les personnages de roman.
4 Vos personnages vivent une existence réelle
Car pour l’existence même de vos personnages, c’est pareil : ils ne sont pas éthérés mais vivent une vie de chair.
L’exemple ultime, c’est sans doute le Bérurier de Frédéric Dard : il pète, il rote, il crache, il bouffe, il mate, il baise ! Il est tellement engoncé dans une matérialité vulgaire et bestiale, caricaturale aussi, qu’il semble réel : nous avons tous croisé un Bérurier !
Dans bien des romans, on ne mange pas, on ne dort pas, on ne fait pas l’amour, on n’est pas malade, et c’est gênant : il en résulte une impression de jamais vu, pas reconnu. Donc, on ne marche pas tout à fait, on reste en retrait du récit, on sent qu’il manque quelque chose : les odeurs, les sons, la réalité de la vie quotidienne et sa crudité. Cette trivialité de la vie, on n’est pas obligé de l’exploiter énormément comme dans les San Antonio mais il ne faut non plus la négliger totalement.
Elle peut être en soi un sujet de roman comme dans Belle du Seigneur d’Albert Cohen : cette trivialité de l’existence, cette chair de la vie qui nous fait malades, faibles, périssables, pas beaux, provoque le désamour et le drame entre Belle et Solal. Ils ne peuvent la supporter. Belle se cache pour aller aux toilettes ! Elle refuse que Solal la voit au réveil sans les apprêts de la toilette, elle ne veut pas avoir la goutte au nez ni sembler le moins du monde imparfaite. Ce qu’il existe en eux de plus vulnérable, de plus humain, Belle et Solal le rejettent dans leur absurde quête de perfection. C’est dire l’importance du petit fait vrai dans ce roman.
Un extrait d’une seule phrase, mais extraordinaire et dont vous apprécierez la cocasserie, de ce roman : « Juliette aurait-elle aimé Roméo si Roméo avait eu quatre incisives manquantes, un grand trou noir au milieu du visage ? »
5 Un exemple : Flaubert écrit vrai, il ne néglige aucun détail
« Quand j’écrivais l’empoisonnement de Mme Bovary j’avais si bien le goût d’arsenic dans la bouche, j’étais si bien empoisonné moi-même que je me suis donné 2 indigestions coup sur coup, deux indigestions réelles car j’ai vomi tout mon dîner. »
Et à propos de l’écriture de Salammbô : « Je suis physiquement fatigué. J’en ai des douleurs dans les muscles. L’empoisonnement de la Bovary m’a fait dégueuler dans mon pot de chambre. L’assaut de Carthage me procure des courbatures dans les bras, – et c’est pourtant ce que le métier offre de plus agréable ! Je n’en peux plus ! Le siège de Carthage que je termine maintenant m’a achevé, les machines de guerre me scient le dos ! Je sue du sang, je pisse de l’eau bouillante, je chie des catapultes et je rote des balles de frondeurs. »
C’est incroyable la force de ces deux petits passages ! On y est, on se prend pour Flaubert ! Parce qu’il écrit vrai justement. Je ne veux pas dire qu’il faille écrire les romans entièrement dans cette veine, très crue, mais je remarque que Flaubert ne se cache pas de ce qu’il ressent et vit : rien de glorieux dans ces petits faits brutaux de la vie quotidienne mais je trouve pourtant que c’est une grande gloire pour un homme que de vivre ainsi les inventions de son imagination, si complètement, et d’aller ainsi jusqu’au bout de lui-même.
Et vous, allez-vous écrire jusqu’au bout de vous-même, bien ancré dans les petits faits de la réalité, qui font paraître les plus grandes invraisemblances réelles ? Vous l’avez déjà fait peut-être ? N’hésitez pas à poster dans les commentaires un extrait d’un de vos textes où la réalité entre de plein pied dans la chair de votre roman. À très bientôt.
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