Lisons ensemble

Lisons ensemble : la rubrique littéraire

Des dizaines de bonnes raisons d’écrire, selon Anaïs Nin

On a tous en nous un peu d’Anaïs Nin !

 

Tu te demandes peut-être parfois pourquoi tu écris, si ce n’est pas vain, si c’est vraiment utile pour toi, pour les autres ? Cela ressemble à s’y méprendre à une petite baisse de régime, une panne d’inspiration ou de motivation ? Voici de quoi y remédier.

 

Crédit photo : Chris Drumm

 

Un écrivain demandait à Anaïs Nin : « Pourquoi écrit-on ? » Elle lui écrivit en réponse une lettre, qu’elle recopia dans son Journal de février 1954 :

«  Pourquoi on écrit est une question à laquelle je peux répondre facilement, me l’étant si souvent posée à moi-même. Je crois que l’on écrit parce que l’on doit se créer un monde dans lequel on puisse vivre. Je ne pouvais vivre dans aucun des mondes qui m‘étaient proposés : le monde de mes parents, le monde de Henry Miller,  le mode de Rango,  ou le monde de la guerre. J’ai dû créer un monde pour moi, comme un climat, un pays, une atmosphère, où je puisse respirer, régner et me récréer lorsque j’étais détruite par la vie. Voilà, je crois, la raison, de tout œuvre d’art. L’artiste est le seul qui sache que le monde est une création subjective, qu’il faut opérer un choix, une sélection des éléments. C’est une concrétisation, une incarnation de son monde intérieur. Et puis il espère y attirer d’autres êtres, il espère imposer cette vision particulière et la partager avec d’autres. Même si la seconde étape n’est pas atteinte, l’artiste, néanmoins, continue vaillamment. Les rares moments de communion avec le monde en valent la peine, car c’est un monde pour les autres, un héritage pour les autres, un don aux autres, en définitive. Lorsque l’on crée un monde tolérable pour soi-même, on crée un monde tolérable pour les autres.

Nous écrivons aussi pour aviver notre perception de la vie, nous écrivons pour charmer, enchanter et consoler les autres, nous écrivons pour donner une sérénade aux êtres qui nous sont chers.

Nous écrivons pour goûter la vie deux fois, sur le moment et après coup. Nous écrivons, comme Proust, pour la rendre éternelle, et pour nous persuader qu’elle est éternelle. Nous écrivons afin de pouvoir transcender notre vie, aller au-delà. Nous écrivons pour nous apprendre à parler avec les autres, pour consigner le voyage à travers le labyrinthe, nous écrivons pour élargir notre univers, lorsque nous nous sentons étranglés, gênés, seuls. Nous écrivons comme les oiseaux chantent. Comme les peuples primitifs dansent leurs rituels. Si vous ne respirez pas à travers l’écriture, si vous ne pleurez pas en écrivant, ou ne chantez pas, alors, n’écrivez pas. Parce que notre culture n’a que faire de tout cela. Lorsque je n’écris pas, je sens mon univers rétrécir. Je me sens en prison. Je sens que je perds mon feu, ma couleur. Ce devrait être une nécessité, comme la mer a besoin de se soulever. J’appelle cela respirer. »

 

Crédit photo : Julie Jordan Scott

 

Tout ces bonnes raisons d’écrire, je les vis. Je comprends et suis en accord avec chaque mot de cette lettre d’Anaïs Nin. Je suis touchée profondément par la justesse de ses conclusions, et plus encore par ces courtes phrases où je me reconnais totalement : « Nous écrivons comme les oiseaux chantent. Comme les peuples primitifs dansent leurs rituels. » Simplement. Parce que cela ne peut être autrement.

J’avais envie de te partager ce texte magnifique. A cette question du pourquoi écrire, je ne connais aucun auteur qui y ait répondu aussi brillamment, rapidement et sincèrement. Rien de surjoué, de faux, d’artificiel. En quelques lignes, elle nous donne des dizaines d’excellentes raisons d’écrire.

 

Qui est Anaïs Nin ?

 

Anaïs Nin est un écrivain atypique (américaine d’origine franco-brésilienne) dont je n’apprécie pas beaucoup les romans. En revanche, son Journal ! Extraordinaire par son contenu autant que par sa longueur, elle le commence à l’âge de 11 ans pour ne le terminer qu’avec sa mort à 74 ans ! Soixante-trois ans d’écriture qui font plus de 20 000 pages pages manuscrites !

Elle y écrivit tous ses secrets, et dieu sait qu’Anaïs Nin en eu ! Elle aura tout fait, tout connu, tout exploré (y compris la bisexualité et la bigamie, sans compter qu’enfant, elle a été victime de son père incestueux.) Elle est l’une des premières femmes à avoir écrit de la littérature érotique. Elle a été la maîtresse célèbre d’Otto Rank, d’Henry Miller, d’Antonin Artaud, Lawrence Durell, Gore Vidal… Peut-être même le premier écrivain à s’autoéditer puisqu’elle s’imprima elle-même. Rebelle, fantasque, fantaisiste, elle a balayé toutes les conventions. Elle a connu tous les artistes de sa génération, peintres, écrivains, cinéastes…

L’idéal pour bien la connaître est aussi de tout explorer : les biographies qui la concernent, ses échanges épistolaires et brûlants avec Henry Miller, ses livres bien sûr, mais surtout, surtout, son Journal. Du moins ce qui en a été publié. Car elle en a en réalité tenu deux : l’un dans lequel elle racontait la vérité, y compris ses nombreuses liaisons compulsives avec des hommes et des femmes, l’autre où elle ne disait qu’une partie de la vérité, filtrant sa sexualité débordante.

J’ai lu et relu le Journal auquel nous, public, avons accès, et le referai encore. Il est d’une richesse de pensées, d’une subtilité psychologique étourdissante. Il faut dire qu’Anaïs Nin a suivi maintes cures analytiques. Si cela t’intéresse, je te renvoie à cette page.

 

Des pistes pour mieux connaître Anaïs Nin

 

Comme tu es un passionné de l’écriture, je te conseille aussi Le roman de l’avenir, formidable essai sur les rapports entre son Journal et ses romans et, surtout, ce qu’elle espérait être le roman de l’avenir, forme romanesque qui serait un mélange de poésie, d’intuition et d’imagination. Malheureusement, le roman actuel ne me semble pas du tout aller dans ce sens… mais plutôt dans le pseudo-réalisme aride. Mais rien n’est perdu, après tout.

Quelques mots sur la vie d’Anaïs Nin ici  et  également ici.

Des citations d’Anaïs Nin pour un aperçu de son écriture.

Enfin, une vidéo passionnante : Anaïs Nin interviewée.

https://www.youtube.com/watch?v=gdyO64yjP_E&t=1433s

Si tu éprouves le besoin d’aller plus loin dans la réflexion, je te dirige vers mon article : Vivre pour écrire ou écrire pour vivre ?

Pour en revenir à cette lettre d’Anaïs Nin, que j’avais envie de te partager tant elle me semble juste :

Et toi, pourquoi écris-tu ?

Les livres d’Anaïs Nin que je te conseille : ses romans sont mauvais à mon avis. Par contre ses réflexions et son Journal sont extraordinaires.

Le roman de l’avenir, Anaïs Nin.        Essai sur  l’écriture, la littérature et l’art dans lequel je me replonge souvent.

 

 

Journal, Anaïs Nin. J’ai déniché la perle rare !    Je l’ai dans la même édition. (occasion)

 

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Richard Bohringer, rebelle magnifique, et L’ultime conviction du désir

Quand Richard Bohringer a écrit son premier livre, C’est beau une ville, la nuit, je ne l’ai pas lu, agacée par le battage médiatique –et oui, déjà à l’époque, 1988, on vendait la littérature comme on vend de la lessive ! Ce qui lui fait bien du tort. Mais là n’est pas la question ; j’écrirai peut-être un article à ce propos, un jour de coup de gueule.

Pour en revenir au premier livre de Richard Bohringer, acteur, réalisateur, chanteur, baroudeur, écrivain, grande gueule, j’ai eu tort de ne pas le lire si j’en juge par L’ultime conviction du désir, sorti en 2005 chez Flammarion. J’ai une grande sympathie pour ce personnage hors norme qui n’hésite jamais à dire ce que tant de gens pensent tout bas. Cet homme est un brasier. Il enflamme tout sur son passage.

 

L’ultime conviction du désir              Richard Bohringer

 

L’ultime conviction du désir

 

J’ai été emportée par son flot d’images, de sensations, d’odeurs, de sons, d’émotions. Richard Bohringer nous balance tout. Et c’est beau. Vraiment très beau. C’est un long texte alternant phrases courtes, phrases sans verbes, mots seuls. Comme un long chant, un poème de 126 pages, une litanie de l’amour et du désir. Un carnet de voyage en mots. Une succession d’instants, de situations, de rencontres avec lui-même, avec les autres. Rédigé comme on rédigerait un journal intime. Ou des lettres. Pas de structure. Même la chronologie est bouleversée, sans importance. C’est une livre splendide, dont on ressort secoué. Et du point de vue d’un écrivain, c’est un livre-tour de force car il prouve qu’on peut écrire sublimement un hybride : ni roman, ni essai, ni nouvelle, rien d’habituel, de connu. Richard Bohringer a laissé glisser sa plume avec vélocité, sans chercher à entrer dans aucun moule littéraire, et ce n’est pas le moindre charme de son livre. Il est un homme à prendre ou à laisser, sans concessions. Je prends.

Richard Bohringer griot

 

   Il y aura sur la route, des villages de chaque côté, un grand arbre dans l’air brûlant. Intense l’âme derrière le pare-brise.

   Les femmes, boubou fou, balancent un coup sensuel sur les poubelles mille fois soulées. Petits talibés, hordes d’orphelins, qui sourient et qui rient. Malgré tout.

   Mon cœur est à toi ma merveille, ma terrible Afrique.

   Je te regarde. Je m’enfouis en toi. Maman. Tes seins comme un continent. 

 

Un style, un ton, et un tour du monde

 

Le miracle de son style est d’avoir réussi à créer avec de si courtes phrases un livre épique, lyrique, qui soulève l’âme, la porte, lui donne l’émotion forte, âpre, parfois désolée, mais follement désirable de la liberté. Richard Bohringer n’est pas un amateur : il écrit comme on respire, et avec conviction. Il a du chien. Son style a de la gueule. Son ton a de la gueule.

C’est le tour du monde, les continents abordés, les différences partagées, aimées, appréciées, les cultures présentées comme des cadeaux et non plus des contraintes, des paysages de brousse, de nulle part, de là où l’on ne va jamais, ou si peu quand on est un occidental : c’est un tour du monde, Amérique du Sud, France, Asie, Islande, et c’est souvent l’Afrique que Richard Bohringer adore. Il est du reste citoyen sénégalais depuis 2002.

Ce qui personnellement me sensibilise beaucoup puisque j’ai vécu 14 ans en Afrique. Je n’ai jamais pu l’oublier. Et là, je suis touchée au cœur. Quand il parle de l’Afrique de l’Ouest, tout y rendu avec grâce, sensibilité, intelligence.

L’ultime conviction du désir, c’est Richard Bohringer qui crie sa révolte devant la dureté du monde, des profiteurs, des politiques et s’extasie devant la beauté de l’univers, des êtres, des paysages, hurle son amour, son amitié, sa tendresse rocailleuse, son trop-plein de vivre et d’aimer, de partager fraternellement ce que la vie nous offre de plus précieux : le rire, le sourire, le silence complice, un thé à la menthe, un chant, la musique, ses enfants, ses belles rencontres, les femmes, le sexe…

Les pages écrites sous influence musicale malienne. Aimer l’Afrique c’est être sous influence.

   La nuit bleue. Sur le fleuve Niger. Bamako. Ton blues m’a pris l’âme.

   La pirogue caresse l’eau.

   La lune proche, si proche, faramineuse, élégante, se pose devant moi. En ombres chinoises des bouts de vie, des arbres, des cases. Je suis dedans. Dans l’écran. Au milieu de la vie en ombres chinoises.

Et plus loin :

   Nous danserons toute la vie l’un contre l’autre. Peau contre peau. Sel mélangé. Rigole entre tes seins, entres tes fesses. Musique lointaine. Blues dans la nuit. Donne envie. Tes seins dans mes mains.

 

Crédit photo : Gustave Deghilage

Crédit photo : Gustave Deghilage

Une musique bien à lui

 

J’ai rarement lu un aussi bel hymne à l’amour de la vie. Un hymne rythmé comme un jazz ou un reggae sensuel. Richard Bohringer a de l’oreille. Sa langue chante et swingue. A ce propos, offrez-vous l’un de ses C.D. Ecoutez-le dire ses textes. Et lisez-le.

Surtout, allez-y ! Entrez dans son univers. Il n’est pas politiquement correct. Un instant magique bien au-dessus de toutes les médiocrités publiées, des livres montés au pinacle on se demande par quel miracle d’entregent. Sur l’acte d’écrire aussi, il a des réflexions fulgurantes.

   Toi qui lis ce bouquin, j’écris le désir de la vie. Écrire à toutes pompes. Comme un fou. Ne pas savoir où aller. Se perdre. Me réfugier.

   Prendre la machine dans ses bras. S’abriter derrière le clavier.

   Écrire. Les torrents, les bateaux au bout du monde, les fleuves, les grandes marées, les prémonitions, les ombres, la discutation humaine, la palabre. L’envie de se raconter l’autre.

   L’ultime conviction du désir.

   On mourra pas et si on meurt tant pis.

   Oublie que je t’aime.

L’amour, la passion, les humbles

 

Richard Bohringer chante la vie, les pauvres, les délaissés, les oubliés, les humbles. Il chante l’homme et la femme. Il n’oublie pas les enfants. Richard Bohringer aime au-delà de l’amour, plus fort encore. Il brûle de passion. Peut-être est-ce pour cela qu’il se noie parfois dans l’alcool. Sans doute une tentative pour apaiser la brûlure, l’intensité. Mais c’est vain : la brûlure est là.

   L’écriture devient dangereuse. Elle dénonce l’imposture. Refuse le mensonge. Sauve les anges déchus. Les paumés de leur vie. Les tendres qui regardent tout dans les rues.

Et encore :

   Vivre l’écriture. À la folie. N’avoir aucun génie. Juste la vie vécue. La transcendance et l’espérance. L’inspiration. Tuer l’inspiration au profit des belles-lettres. Les spadassins traînent dans les couloirs de la culture.

   Les groupes de pensée deviennent uniformes. Vivre l’idée de l’écriture. Écrire par tous les temps. Au bout des champs. Derrière l’horizon. Les phrases odeurs. Les phrases souvenirs. Il y aura celles écrites. Il y aura celles sans traces. Juste pensées. Juste vécues. Tout ne sera pas écrit. Trop d’intime à deviner entre les lignes.

La vérité qui cogne aux tripes, le livre qu’on ouvre pour ne le fermer qu’au dernier point –avec regret- et dont on sait qu’on le relira encore et encore.

Et il faut bien entendu le lire avec L’ultime conviction du désir.

 

Crédit photo : Gustave Deghilage

Crédit photo : Gustave Deghilage

Quelques mots supplémentaires à propos de l’air du temps :

 

J’ai été invitée cordialement à écrire un article par mon collègue écrivain et blogueur, comme moi, Malik Kahli. Tu peux lire mon article sur son blog, Ecrivain en devenir : 7 personnages écrivains de roman . Malik prépare la sortie de son prochain livre ; affaire à suivre…

Je te souhaite de très belles fêtes ainsi qu’à tes proches. Bientôt une nouvelle année et d’autres défis à relever pour chacun d’entre nous. Certains seront littéraires. Pour 2017, j’ai décidé de te tenir au courant de ce que je mijote dans mes grands chaudrons d’écrivain : des plats amers, sucrés, des salés, roman et théâtre… Je te raconte tout en 2017, promis !

Je pense aussi que je vais tenter le podcast -tu vas entendre ma voix, il était temps- et même la vidéo -là, tu verras ma tête, enfin !

Je te remercie pour ta fidélité, ta présence, tes lectures de mes articles, de mes petites nouvelles, tout au long de 2016. On se retrouve dans quelques jours pour entamer l’année 2017 sur les chapeaux de roues. Et d’ici là, champagne pour nous tous !

 

*                                                                                     

 

 

 

 

 

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Ecrire un roman court, léger et profond comme Milena Agus : Battement d’ailes

Ecrire un roman court, léger et profond : Battement d’ailes  de  Milena Agus

 

Un lieu paradisiaque, une femme extraordinaire

 

Battement d’ailes se déroule en Sardaigne, dans une propriété merveilleuse, une campagne au bord de la mer. Entourée de logements pour touristes, elle est convoitée par des promoteurs. Madame, personnage principal du roman, y vit modestement, tenant une pension pour 8 personnes et exploitant sa terre. Elle refuse de vendre pour s’enrichir. Généreuse et fantaisiste, elle reçoit aussi bien un amant qui l’exploite que des gens perdus qui traversent de mauvaises passes.

 

Crédit photo : Christophe Delaere

Crédit photo : Christophe Delaere

Une jeune narratrice

 

Le roman est écrit à la première personne par un personnage aussi intéressant : une adolescente à l’imagination fertile et rêveuse mais à la vision plus lucide que celle des adultes qui l’entourent. Elle est également beaucoup plus intelligente que la plupart d’entre eux, y compris de sa propre mère, personnage falot et irresponsable. L’adolescente adore Madame. Car elle aussi est différente. Elle aussi possède un inépuisable fond de bonté comme son propre grand-père, seul ami de Madame.

Sous la surface

 

Ce roman est une peinture de personnages, toute en finesse. Plus que l’histoire, c’est cela qui m’a attaché à sa lecture. Les personnages secondaires y sont évoqués par touches, discrètement, et pourtant on sait toujours exactement à qui on a affaire, quels sont leurs secrets, leurs failles.

Madame cache un secret bien vite éventé par la narratrice et son grand-père : malheureuse en amour, elle est nymphomane. Ce qui n’enlève rien à la grande amitié qu’ils lui portent.

L’atmosphère

 

C’est un roman doux, acidulé, fantasque, aux limites du rêve. On n’est pas loin du réalisme magique comme chez les auteurs Sud-Américains. Je ne serais pas étonnée que Milena Agus les lisent avec beaucoup d’intérêt. Son humour perce, son ironie éclate même aux travers des yeux de l’adolescente quand elle décrit les voisins, famille de catholiques de 9 enfants qui ne sont pas sans me rappeler les Le Quesnoy du film La vie est un long fleuve tranquille.

« A propos de nos voisins qui voudraient vendre, Madame ne comprend pas que des personnes pieuses et bonnes, qui avant de manger prient pour rendre grâce à Dieu de leur repas, ne le remercient pas aussi pour ce morceau de paradis terrestre et qu’elles soient favorables à la construction de cubes de béton avec jardinets à l’anglaise, reliés par des routes carrossables, et tout ça pour de l’argent . Comme si on ne devait pas préserver l’œuvre du Seigneur même si ça ne nous arrange pas. »

 

Crédit photo : grego1402

Crédit photo : grego1402

Le style et le ton

 

Le récit de l’adolescente (dont le père a disparu après avoir ruiné sa famille au jeu) est fait dans une langue simple mais précise. Peu de mots mais choisis. Et des trouvailles qui sont d’extraordinaires raccourcis.

« De la richesse de ma famille, il ne reste rien.[…] Mais au fond, si on excepte l’argent, nous ne manquons de rien. »

Le livre est du reste court, dans les 140 pages. Ce qui n’empêche pas son univers de s’imposer tout de suite dans notre imaginaire. L’adolescente nous touche parce qu’elle a le don d’instiller de l’humanité, et même de la bonté dans tout ce qu’elle voit et choisit de traduire par ses mots. Des personnages qu’elle dépeint, elle dit au fond du bien, même quand elle est en désaccord avec leurs manières de penser, d’être, avec leurs moeurs. Il s’agit une adolescente bienveillante et tolérante, genre de personnage qui se fait rare dans la littérature, plus portée aux anti-héros que jamais depuis 20 ou 30 ans.

J’ai lu en 2 heures, un soir, ce court récit que j’ai trouvé très émouvant. Je ne l’ai pas lâché tant cet univers de paradis sarde est bien dépeint, tant les personnages m’ont émus. Il faut dire que je suis sensible à ce genre de lieu : une campagne du sud, le soleil, les animaux, la mer. Oui, je suis une femme du sud, pas de doute. Et je connais ce déchirement : j’ai perdu la campagne de mes grands-parents, paradis méditerranéen transformé en lotissement. Une perte inoubliable.

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Le combat de Milena Agus et de son héroïne

 

Sous son apparente simplicité, c’est un livre qui dénonce et combat. C’est le combat d’une femme, Madame, qui cède à une mélancolie incessante, à la dépression, à une culpabilité obscure ; c’est aussi le combat d’une femme face aux promoteurs. Elle défend le droit du bonheur à vivre dans la nature et s’oppose à la destruction de la nature et aux plaisirs immédiats du confort. On comprend bien que ceux-ci n’apporteront jamais ceux que procure la nature. Madame, c’est David contre les géants du capitalisme. Battements d’ailes est un livre qui s’insurge contre le béton, le goudron, la laideur des cités balnéaires, l’urbanisation à outrance. Un roman un peu écolo, au fond. Tous ces combats me sont sympathiques.

Le Grand-père dit que Madame est « l’homme nouveau », l’unique type humain qui pourra survivre à la catastrophe actuelle car elle sait distinguer entre les babioles et ce qui compte dans la vie. Madame doit défendre cet endroit contre tous ceux qui voudraient y construire des villages de vacances, ces gens qui ne pensent qu’à s’enrichir. Elle le défendra sans violence. Avec sa détermination courtoise. Parce que c’est l’arme du futur. Et le futur, c’est Madame.

Qui est Milena Agus ?

 

Milena Agus, écrivain profondément sarde, a connu son premier succès en France avec Mal de pierres, en 2007. Il vient du reste de paraître au cinéma, réalisé par Nicole Garcia et transposé en Provence. Il va falloir que je lise car c’est une écrivain que je suis heureuse d’avoir rencontré avec Battement d’ailes. C’est un petit bijou. Milena Agus est maintenant traduite en plusieurs langues, reconnue dans le monde et en Italie où elle a reçu le prix Elsa Morante. Elle est professeur en Sardaigne et, très modeste, n’aime pas se montrer en public.

Crédit photo : Elena Torre

Crédit photo : Elena Torre

Le sens du raccourci et de la formule

 

Voici un livre qui me donne sacrément envie d’être moins bavarde, de faire attention à ne pas « mettre trop de mots. » Je suis plutôt du genre foisonnant, lyrique. Pourquoi ne pas essayer pour une fois ? Il n’y a que dans mes nouvelles que j’écris avec le minimum d’effets. J’ai été impressionnée par le sens du raccourci et de la formule de Milena Agus. C’est une autre manière de dire les choses et elle le fait meveilleusement.

« Parfois le manque d’amour réveille madame en pleine nuit, elle se rappelle qu’elle est seule et elle a l’impression d’étouffer, elle va boire un verre d’eau, mais l’amour qui n’est pas là lui coupe le souffle. »

Oui, Battement d’ailes est un roman court, léger mais profond. Et vous, écrivez-vous court et léger, ou long et foisonnant ? Avez-vous lu Milena Agus ? Aimez-vous son écriture ?

 

Battement d’ailes, Milena Agus     

 

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Faites la fête ! Fête du livre du Var à Toulon du 18 au 20 novembre 2016

Comme toutes les années, la Fête du Livre du Var aura lieu à Toulon. Comme je suis une provinciale du coin, je vous en dis un petit mot : ambiance sympa, l’année dernière des transats étaient même installés en dehors du chapiteau et le soleil au rendez-vous. Les lecteurs lisaient leurs livres fraichement achetés et dédicacés en sirotant leur limonade. Sympa, non ?

 

Crédit photo : levarois.com

Crédit photo : levarois.com

 

Plus sérieusement, pour cette année 2016, l’invité d’honneur est Jérôme Ferrari. Un parcours de gars du sud pour un écrivain né à Paris : prof en Algérie, aux Emirats arabes, en Corse. Il faut préciser que notre Fête, qui attire en gros 50 000 visiteurs chaque année, tient à sa personnalité méridionale. Les transats en font partie…

 

Crédit photo : Presseagence

Crédit photo : Presseagence

 

Les 4 invités à l’honneur en 2016 sont :

Jérôme Ferrari, prix Goncourt 2012 avec Le sermon sur la chute de Rome

Leïla Slimani, franco-marocaine, prix Goncourt 2016 avec Chanson douce

Marcus Malte, né à La Seyne-sur-Mer, prix Fémina 2016 avec Le garçon

Ivan Jablonka, prix Médicis et prix littéraire du Monde 2016 avec Laëtitia ou la fin des hommes qui a beaucoup écrit beaucoup sur l’exil et l’identité, questions qui préoccupent beaucoup les écrivains et intellectuels du Var.

Ceci dit, 200 auteurs sont attendus, donc si vous êtes de la région, n’hésitez pas à venir, vous devriez rencontrer au moins un auteur que vous adorez.

Pour ma part, j’irai en visiteuse seulement car mon roman n’est plus assez récent pour qu’une librairie m’invite à participer. C’est avec beaucoup de regret, vous vous en doutez. Vivement l’année prochaine avec un nouveau livre édité !

 

Fête du Livre du Var 2014, avec ma fille : épuisée mais heureuse

Fête du Livre du Var 2014, avec ma fille : épuisée mais heureuse

 

En attendant, je vais profiter de cette belle Fête du Livre 2016, des conférences, des auteurs, peut-être de rencontres avec des éditeurs (et oui, il va falloir que j’y aille pour cela aussi), des lectures, des livres bien entendu, des livres surtout !

Le programme des festivités : c’est ici.

La page Facebook : c’est là.

Alors souhaitons que le soleil soit au rendez-vous avec la Fête du Livre du Var. Dans tous les cas, j’y serai.

Et vous ?

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Une « Chanson douce » pour Leïla Slimani : le prix Goncourt 2016

   Leïla Slimani est lauréate du prix Goncourt 2016 grâce à son roman Chanson douce, histoire d’une nounou, Louise, qui assassine les 2 enfants qui lui sont confié et qu’elle adore. Je ne l’ai pas lu comme je n’ai pas lu Le jardin de l’ogre.

ActuaLitté

Source : ActuaLitté

Le père de Leïla Slimani est marocain, banquier, et sa mère, mi algérienne, mi-française, O.R.L. Leïla Slimani était élève du lycée français de Rabat et sa famille d’expression française. J’imagine aisément le niveau d’éducation élevé, en milieu privilégié, de ce lycée. J’ai moi-même fait mon collège et lycée au lycée français de Casablanca (Bizet et Lyautey pour qui connaît.) On est très exigeant dans les établissements scolaires français à l’étranger. Rien à voir avec la scolarité en France, j’en parle en connaissance de cause, même si j’ai haï ma scolarité. Ca aide à l’écriture : on y apprend le réflexe de la clarté. Une posture intellectuelle qui n’est pas négligeable…

Crédit photo : quattrostagioni

Crédit photo : quattrostagioni

 

Le propos de Chanson douce est féroce et sordide comme un fait divers ; le style sec, incisif, sans un gramme de plus. J’aime le lyrisme : ce roman ne m’a donc pas attirée. J’ai bien sûr pas mal feuilleté avant de me prononcer : oui, pour mon goût,  le style est trop dégraissé, trop sage. Pas de folie surtout ! Pas de risques ! Ce n’est pas ma tasse de thé mais je comprends que l’on puisse apprécier. Ce n’est pas mon univers, c’est tout.

Mais je pense que c’est un bon livre. Je vous en ferai un petit speech si, d’aventure, je le lisais.

Dans son précédent roman, Le jardin de l’ogre, Adèle, journaliste, mariée, un enfant, est nymphomane. Ca ne m’a pas attirée non plus. La dépendance sexuelle d’une bourgeoise parisienne mariée à un chirurgien, je dois dire que ça me laisse froide ! J’ai en général du mal avec les livres et films tournant dans le milieu de la bourgeoisie parisienne. Un préjugé de ma part, peut-être ? A vous de juger.

Source : Internet Archive Book

Source : Internet Archive Book

Je peux cependant passer sur tous mes préjugés, ce n’est pas le réel problème. C’est toujours le style : sec et concis. Trop pour mes goûts. J’aime la fantaisie, voire l’exubérance.

Aujourd’hui, Leïla Slimani doit fêter sa victoire, répondre à la presse qui la presse (facile) et comme je la comprends ! Nous aussi, cher lecteur amoureux d’écriture, romancier débutant ou aguerri, ça ne nous déplairait pas de décrocher le Goncourt, non ?

Que sa fête soit belle !

Et vous, avez-vous lu ce dernier ce Goncourt 2016 ? Ou un autre roman de Leïla Slimani ? Parlez-en dans les commentaires. Quel est votre avis ?

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Marguerite Yourcenar vivait les yeux ouverts

Les yeux ouverts , entretiens de Marguerite Yourcenar avec Matthieu Galey

 

J’ai relu cette semaine Les yeux ouverts. J’ai été à nouveau saisie par l’intelligence des propos de Marguerite Yourcenar et leur actualité, brûlante aujourd’hui. Ce livre a été édité en 1980. Et pourtant :

 

Marguerite Yourcenar, Le livre de Poche

Marguerite Yourcenar, Le livre de Poche

ECOLOGIE ET BARBARIE

 

« Je me dis souvent que si nous n’avions pas accepté, depuis des générations , de voir étouffer les animaux dans des wagons à bestiaux, ou s’y briser les pattes comme il arrive à tant de vaches ou de chevaux, envoyés à l’abattoir dans des conditions absolument inhumaines, personne, pas même les soldats chargés de les convoyer, n’aurait supporté les wagons plombés des années 1940-1945. Si nous étions capables d’entendre le hurlement des bêtes prises à la trappe (toujours pour leur fourrure) et se rongeant les pattes pour essayer d’échapper, nous ferions sans doute plus attention à l’immense et dérisoire détresse des prisonniers de droits communs -dérisoire parce qu’elle va à l’encontre du but, qui serait de les améliorer, de les rééduquer, de faire d’eux des êtres humains. Et sous les splendides couleurs de l’automne, quand je vois sortir de sa voiture, à la lisière d’un bois pour s’épargner la peine de archer, un individu chaudement enveloppé dans un vêtement imperméable, avec une « pint » de whisky dans la poche du pantalon et une carabine à lunette pour mieux épier les animaux dont il rapportera le soir la dépouille à sanglante, attachée sur son capot, je me dis que ce brave homme, peut-être bon mari, bon père ou bon fils, se prépare sans le savoir aux « Mylaï » de l’avenir. En tout cas, ce n’est plus un homo sapiens. »

« Le Mylaï est un village vietnamien dont la population fut massacrée par un détachement américain, nouvelle qui éclata à retardement et fit quelque temps scandale », précise le livre, en bas de page. L’écrivain dit dans ce livre qu’elle est presque entièrement végétarienne. Elle ne se paye de mots : elle acte.

Voilà, le ton est donné ! Avec Marguerite Yourcenar, pas de faux-col, pas d’hypocrisie, du réel, du concret, du palpable. Durant ces entretiens avec Matthieu Galey, alors critique littéraire et chroniqueur à L’Express, elle parle d’écologie, d’humanisme, de politique, d’éducation, de spiritualité, d’elle -le moins possible-, et bien entendu de littérature mais plus encore : décriture.

Les écrivains s’expriment peu sur ce que j’appelle « la tambouille littéraire ». C’est avec plaisir qu’elle évoque les techniques, les incessants allers et retours de son intelligence d’écrivain et de sa mémoire auprès de ses personnages, et comment ils grandissent en elle jusqu’à devenir suffisamment présents, « vrais » pour être enfin écrits. Il est palpable, quand on lit ce livre, que pour Marguerite Yourcenar son Zénon, son Adrien sont réels, aussi réels qu’elle. Ses personnages semblent l’avoir accompagnée partout dans ses périples autour du monde. Elle visualise parfaitement ses personnages, s’imprègne de l’atmosphère des lieux où ils ont vécus en les visitant, se documente…

 

Mémoires d'Hadrien, collection folio

Mémoires d’Hadrien, collection folio

A cette question -volontairement provocatrice de Matthieu Galey, elle répond longuement, et droit au but :

POLITIQUE ET EDUCATION

 

« Je condamne l’ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu’on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J’ai souvent réfléchi à ce que pourrait êtere l’éducation de l’enfant. Je pense qu’il faudrait des études de base, très simples, où l’enfant apprendrait qu’il existe au sein de l’univers, sur une planète dont il devrait plus tard ménager les ressources, qu’il dépend de l’air, de l’eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tués dans des guerres qui n’ont jamais fait que produire d’autres guerres, et chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passé pour qu’il se sente relié aux hommes qui l’ont précédé, pour qu’il les admire là où ils méritent de l’être, sans s’en faire des idoles, non plus que du présent ou d’un hypothétique avenir. On essayerait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses; il saurait le nom des plantes, il connaitrait les animaux sans se livrer aux odieuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés; son éducation sexuelle comprendrait  la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n’osent plus donner dans ce pays. En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout celle du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d’avance certains odieux préjugés. On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, à ne pas se laisser prendre à l’imposture publicitaire, à commencer par celle qui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu’on ne le fait. »

Comment ne pas applaudir à deux mains ? Marguerite Yourcenar manie la lucidité et le bon sens avec maestria; ses armes sont l’intelligence et la bonté. C’est une humaniste. Et son intérêt pour l’antiquité, ses personnages, historiques ou non, les Stoïciens, l’Histoire, n’est pas de surface. C’est une femme qui prend ses responsabilité et rend à chacun les siennes. Mieux, elle demande aux hommes de les saisir à bras le corps, et non de vivre mollement en se laissant porter par le courant ambiant. Ghandi n’est pas loin. Du reste, elle s’intéresse aussi beaucoup aux sagesses orientales. Elle est d’une érudition abasourdissante. Elle semble avoir tout lu, particulièrement de la littérature antique et classique. Elle s’intéresse à tout, et à tous.

Marguerite Yourcenar

Marguerite Yourcenar

   RESPONSABILITE ET PARTAGE

 

Quand Matthieu Galey, toujours la chatouillant, lui assène : « L’action individuelle paraît un peu dérisoire, quand c’est une société toute entière, qui pend la mauvaise voie. », elle réplique : « Tout part de l’homme. C’est toujours un homme seul qui fait tout , qui commence tout : Dunand et Florence Nightingale pour la fondation de la Croix-Rouge, Rachel Carson pour la lutte contre les pesticides, Margaret Sangers pour le planning familial. Parlant de Dieu, je fais dire à Zénon : « Plaise à celui qui est peut-être de dilapider le cœur de l’homme à la mesure de toute la vie », et c’est pour moi une phrase si essentielle que je l’ai fait d’avance graver sur ma tombe. Il faudrait que l’homme participât sympathiquement au sort de tous les autres hommes ; bien plus, de tous les autres êtres. »

Il y a tant à prendre, à s’approprier, à méditer, à mettre en pratique dans ce livre unique, que pourtant Marguerite Yourcenar n’avait pas apprécié, trouvant qu’elle avait trop parlé d’elle et non de ce qui la préoccupait ! Et pourtant, un tel humanisme s’en dégage, une vision si dénuée de fioriture sur le monde et la marche des hommes, que sa lecture devrait être recommandé à tout jeune être entrant dans l’âge adulte. Pour ma part, ma fille est âgée de dix ans et j’ai décidé de lui faire lecture, puisque je la lui fais chaque soir, de quelques passages, et d’en discuter.

 

L'Oeuvre au Noir, collection folio

L’Oeuvre au Noir, collection folio

Pour en revenir à l’acte d’écrire -il est vrai que j’ai pris des chemins de traverse pour cet article mais je voulais rendre le son un peu désordonné d’une conversation, ce que ce livre est-, Matthieu Galey demande : « Est-ce un effort, une souffrance que d’écrire ? »

ECRITURE ET VISION

 

Réponse de ce grand écrivain : « Non, c’est un travail, mais c’est aussi presque un jeu, et une joie, parce que l’essentiel, ce n’est pas l’écriture, c’est la vision.  J’ai toujours écrit mes livres en pensée avant de les transcrire sur le papier, et je les ai parfois même oubliés pendant dix ans avant de leur donner une forme écrite. La scène entre Zénon et le chanoine, par exemple, je l’ai vue, je pourrais dire que je l’ai écrite dans ma tête, en écoutant de la musique, du Bach, je crois, chez un ami, un après-midi, vers 1954. Je suis sortie de chez lui en me disant : » Je n’ai pas le temps ni l’occasion d’écrire cela maintenant, et je ne l’aurai sans doute pas d’ici des mois, des années peut-être. On s’en souviendra ou l’on ne s’en souviendra pas, on verra bien. » Et puis des années plus tard, cela m’est revenu… »

Sur la « tambouille » de l’écriture, voici ce que nous raconte Marguerite Yourcenar :

DE L’ART D’ECRIRE UN LIVRE

 

« Le métier d’écrivain est un art, ou plutôt un artisanat, et la méthode dépend un peu des circonstances. Parfois je rends un bloc de papier et je griffonne mon texte d’une écriture qui devient malheureusement illisible au bout de quatre ou cinq jours, qui se fane, en quelque sorte, comme les fleurs. Mais il arrive aussi que j’aille droit à ma machine à écrire et que je tape une première version. Dans les deux cas, je mets toutes mes lancées, pour chaque phrase ; ensuite je rature, et je choisis celle que je préfère. Je travaille aussi à la colle et au ciseau, mais pas toujours. Et si vous aimez mes petites manies d’écrivain, je peux vous en citer une : à la troisième ou quatrième révision, armée d’un crayon, je relis mon texte, déjà à peu près propre, et je supprime tout ce qui  peut être supprimé, tout ce qui me paraît inutile. Là, je triomphe. J’écris au bas des pages : supprimé sept mots, supprimé dix mots. Je suis ravie, j’ai supprimé l’inutile. »

J’ai beaucoup laissé s’exprimer Marguerite Yourcenar puisqu’il s’agit d’un entretien. Il est juste maintenant que je vous livre une petite biographie de l’écrivain.

Crédit photo : franzconde Marguerite Yourcenar, âgée de cinq ans

Crédit photo : franzconde
Marguerite Yourcenar, âgée de cinq ans

 

SON PARCOURS

 

Marguerite Yourcenar est en réalité née Marguerite Cleenewerck de Crayencour (Bruxelles, 8 juin 1903 – Mount Desert Island, États-Unis, 17 décembre 1987.) Yourcenar est un anagramme de  Crayencour. Elle est la première femme élue à l’académie française, en 1981. Sa mère flamande meurt à sa naissance et elle est élevé par un père anticonformiste, très cultivé, grand voyageur, libre, qui lui donne tôt le goût de la littérature et des langues anciennes. Elle voyage avec lui durant son enfance, habite différents pays. En 1939, elle s’installe avec sa compagne Grace Frick, universitaire américaine et traductrice, dans l’île des Monts-Déserts, dans le Maine, où elle vivra le reste de sa vie. Elle devient citoyenne américaine en 1947. Grace meurt en 1979. Marguerite Yourcenar continue de mener son existence entre écriture et voyages. Elle a un dernier compagnon avec qui elle entreprend de longs voyages, et même un tour du monde, Jerry Wilson, qui meurt du sida.

C’est un être de conviction : à l’avant-garde de l’écologie, c’est elle qui alerte Brigitte Bardot sur le massacre des bébés phoques.

Mémoires d’Hadrien la consacre définitivement femme de lettres. Elle a enseigné, écrit des traductions, et bien entendu ses propres œuvres : L’Oeuvre au Noir, Nouvelles orientales, Alexis-Le coup de grâce, Le Labyrinthe du monde, Un homme obscur, etc.

Je n’ai pas envie de m’étendre là-dessus car vous trouverez facilement sur internet des biographies plus précises et toutes les œuvres de Marguerite Yourcenar, ainsi que leurs critiques.

Ce que je veux vous partager aujourd’hui, ce sont Les yeux ouverts, une lecture que je vous conseille ardemment car je la crois indispensable. Et je crois indispensable que nous cultivions, écrivains ou non, le même humanisme, la même ouverture d’esprit, le même courage face à la vie et le même amour de vivre. Oui, Marguerite Yourcenar vivait les yeux ouverts.

Et vous, avez-vous lu Les yeux ouverts ? L’avez-vous autant aimé que moi ?

 

Les yeux ouverts, Marguerite Yourcenar   

Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar

L’Œuvre au Noir, Marguerite Yourcenar      

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