Le point sur la virgule : 12 façons d’utiliser la virgule dans la ponctuation de l’écriture de roman
La ponctuation n’est pas seulement une formalité à traiter par dessus la jambe. C’est une manière subtile de rendre un texte plus intelligible et parfois même plus intelligent, plus raffiné, plus personnel, voire plus original. Il existe des règles simples que tu peux évidemment transgresser. Mais si tu ne connais pas les règles, comment les transgresser pour rendre ta ponctuation plus personnelle ? Transgresser, ce n’est pas faire des erreurs, c’est imposer volontairement un effet particulier.
Je pense par exemple à Proust et ses parenthèses multiples, ses guillemets, ses incises et ses phrases prolongées artificiellement par des successions de virgules (jusqu’à l’écoeurement pour ma part mais pour le plus grand ravissement d’autres lecteurs, ce qui montre bien l’importance de la ponctuation et que nous n’y sommes pas sensibles de la même manière !)
Mais ma tante savait bien que ce n’était pas pour rien qu’elle avait sonné Françoise, car, à Combray, une personne « qu’on ne connaissait point » était un être aussi peu croyable qu’un dieu de la mythologie, et de fait on ne se souvenait pas que, chaque fois que s’était produite, dans la rue du Saint-Esprit ou sur la place, une de ces apparitions stupéfiantes, des recherches bien conduites n’eussent pas fini par réduire le personnage fabuleux aux proportions d’une « personne qu’on connaissait » soit personnellement, soit abstraitement, dans son état civil, en tant qu’ayant tel degré de parenté avec des gens de Combray. C’était le fils de Mme Sauton qui rentrait du service, la nièce de l’abbé Perdreau qui sortait du couvent, le frère du curé, percepteur à Châteaudun qui venait de prendre sa retraite ou qui venait passer les fêtes. On avait eu en les apercevant l’émotion de croire qu’il y avait à Combray des gens qu’on ne connaissait point simplement parce qu’on ne les avait pas reconnus ou identifiés tout de suite. Et pourtant, longtemps à l’avance, Mme Sauton et le curé avaient prévenu qu’ils attendaient leurs « voyageurs ». Quand le soir je montais, en rentrant, raconter notre promenade à ma tante, si j’avais l’imprudence de lui dire que nous avions rencontré près du Pont-Vieux, un homme que mon grand-père ne connaissait pas : « Un homme que grand-père ne connaissait point, s’écriait-elle. Ah ! je te crois bien ! » Néanmoins un peu émue de cette nouvelle, elle voulait en avoir le cœur net, mon grand père était mandé. « Qui donc est-ce-que vous avez rencontré près du Pont-Vieux, mon oncle ? un homme que vous ne connaissiez point ? » – « Mais si, répondait mon grand-père, c’était Prosper, le frère du jardinier de Mme Bouillebœuf. » – « Ah ! Bien », disait ma tante, tranquillement et un peu rouge ; elle haussait les épaules avec un sourire ironique, elle ajoutait : « Aussi il me disait que vous aviez rencontré un homme que vous ne connaissiez pont ! » Et on me recommandait d’être plus circonspect une autre fois et de ne plus agiter ainsi ma tante par des paroles irréfléchies. Du côté de chez Swann
Céline et ses trois points : On me laissera pas voir. « Monte dans ta chambre, petit saligaud !… Va te coucher ! Fais ta prière !… »
Il mugit, il fonce, il explose, il va bombarder la cuistance. Après les clous il reste plus rien… Toute la quincaillerie est en bombe… ça fuse… ça gicle… ça résonne… Ma mère à genoux implore le pardon du Ciel… La table il la catapulte d’un seul grand coup de pompe… Elle se renverse sur elle…
« Sauve-toi Ferdinand ! » qu’elle a encore le temps de me crier. Je bondis. Je passe à travers une cascade de verre et de débris… Il carambole le piano, le gage d’une cliente… Il se connaît plus. Il rentre dedans au talon, le clavier éclate… C’est le tour de ma mère, c’est elle qui prend à présent… De ma chambre je l’entend qui hurle…
« Auguste ! Auguste ! Laisse-moi !… » et puis des brefs étouffements…
Je redescends un peu pour voir… Il la traîne la long de la rampe. Elle se raccroche. Elle l’enserre au cou. C’est ça qui la sauve. C’est lui qui se dégage… Il la renverse. Elle culbute… Elle fait des bonds dans l’étage… Des bonds mous… Elle se relève en bas… Il se barre alors lui… Il se tire par le magasin… Il s’en va dehors. Elle arrive à se remettre debout… Elle remonte dans la cuisine. Elle a du sang dans les cheveux. Elle se lave sur l’évier… Elle pleure… Elle suffoque… Elle rebalaye toute la casse… Il rentre très tard dans ces cas-là… C’est redevenu tout tranquille… Mort à crédit
Albert Cohen et son absence volontaire de ponctuation dans les apartés de ses personnages, ou ses phrases sans verbes, ou ses juxtapositions de virgules : Alors, il avait bien fallu refaire le coq à regards filtrés, elle ravie courant se recoiffer, et mettre déshabillé inutilement voluptueux, et voiler de rouge patibulaire la lampe de sa chambre pour faire sensuel, la malheureuse espérant l’indiscutable test d’un coït réussi, croyant l’avoir obtenu et lui faisant aussitôt les affreuse caresses sentimentales sur la nuque ou dans les cheveux, effrayantes araignées de gratitude, insupportablement accompagnées de questions tendres et de tendres commentaires appréciatifs. Et de nouveau, plusieurs bains chaque jour, et deux rasages au moins, et expressions poétiques à trouver pour louer la beauté de l’aimée et les diverses parties de sa viande, et en trouver chaque jour de nouvelles parce qu’elle était insatiable et qu’il la chérissait, et qu’il aimait la voir de satisfaction aspirer longuement par les narines. Et de nouveau les redoutables disques de Mozart et de Bach, de nouveau les couchers de soleil et les couchages inutiles, suivis des sempiternelles exégèses avec grandes consommations d’âme. Belle du Seigneur.
Parlons donc de la virgule !
La virgule sert :
1. A énumérer et séparer des mots :
Je mange des haricots, des fèves, des lentilles et du maïs.
2. Ou des groupes de mots :
Je mange des haricots à la tomate, des fèves à l’espagnole, des lentilles aux saucisses et du maïs grillé. J’espère que tu admires la haute teneur littéraire de mes exemples.
3. Séparer des propositions, les juxtaposer, voire éliminer les pronoms personnels :
Haricots, fèves, lentilles, maïs, j’adore manger tout cela.
4. Juxtaposer des propositions principales.
Dans ce cas, il y a un rapport logique entre les deux phrases, voire une relation de cause à effet. Je mange des haricots, je préfère garder les fèves pour demain.
Personnellement, en ce cas, je préfère de beaucoup le point-virgule : Je mange des haricots ; je préfère garder les fèves pour demain. Oui, la ponctuation se discute même dans un cas aussi trivial ! Et tu le vois, c’est très personnel. La nuance est subtile.
5. Séparer des propositions qui évoquent une succession d’événements :
Je mangeais des haricots, je pensai à l’histoire de Tristan les pouces verts, décidai de raconter cette histoire aux enfants, ils s’installèrent en rond sur le tapis, s’amusèrent beaucoup cet après-midi là ; nous fumes heureux ensemble. Tournure élégante qu’on ne lit plus guère et dont j’ai remarqué qu’elle était beaucoup usitée au XVIIIème siècle.
6. Séparer des propositions coordonnées par des conjonctions de coordination : et, si, ou, quand elles sont répétées plus de deux fois :
Je ne mange ni haricots ni fèves, ni lentilles, ni maïs.
7. Mettre en relief un mot, un groupe de mots placés en tête de phrase :
Les haricots au lard, j’adore ça !
8. Encadrer des mots ou groupes de mots pour préciser le sens du texte :
Elle a mangé les haricots, avec tant de gourmandise, qu’elle en a oublié les fèves. Ou encore : Le maïs, que personne ne mange plus ou presque en France, est très apprécié au Mexique.
9. Pour encadrer une incise, au lieu de tirets :
Les haricots, dis-je, sont des légumineuses.
10. Enfin, après un nom de lieu et avant une date :
Paris, le 25 septembre 2050. On trouve surtout cette formule dans les courriers, les journaux intimes. Mais il n’est pas interdit de s’en servir dans un roman.
11. Et puis une précision pour sa typographie :
Pas d’espace après le mot, la virgule, une espace après la virgule et avant le texte. Ce qui donne :
Pour la typographie de la virgule, l’écrire comme dans cette phrase.
12. Et la respiration dans tout cela ?
Tu l’auras compris, la virgule sert aussi à respirer, marquer la pause, ou au contraire entraîner la répétition, marquer la cavalcade des mots, leur fuite, un tourbillon, la fureur, ou encore le doute, l’hésitation, la crainte, l’insistance, etc. La virgule a sa logique qui entraîne la logique du texte, à moins que ça ne soit l’inverse, mais la virgule c’est aussi une signature, une manière personnelle de l’utiliser, un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout, un certain rythme, une musique, un souffle, toutes choses qui te sont intimes. Idéalement, elle exprime quelque chose, la virgule.
Voilà, maintenant, tu sais tout de la virgule. A toi d’en jouer, la sublimer, la rendre plus subtile, plus intelligente, moins banale ! Mettons les points sur les i : la virgule, c’est toi qui la fais et la défais.
Et toi, comment l’utilises-tu ?
ӿӿӿ Pour découvrir mes livres et les feuilleter, c’est ici ӿӿӿ
Téléchargez votre Cadeau
Je lirai ton article plus tard. J ai juste lu les commentaires concernant le cheval de l irlandais, commentaires que d’ailleurs je partage. Très sympa ! Surtout si ces lecteurs sont abonnés à ton blog. C’est si peu comme remerciement au regard de tout ce temps que tu passes à nous dispenser des conseils, Et à l’énergie que tu y laisses.
Oui, il y a des commentaires sympathiques. Et c’est vrai que c’est un peu me rendre la pareille, et que ce retour me fait plaisir, venant des abonnés.
Mais tous les commentaires ne viennent pas des abonnés. Certains viennent de personnes que je ne connais pas du tout ! Ce qui est très bien aussi. J’aimerai les remercier d’avoir lu le roman, et de l’avoir aimé mais je ne peux pas ! Qui sont-ils ? Des lecteurs inconnus !
Merci pour ce rappel très utile.
De rien, ça faisait un moment que je me disais, il faut parler ponctuation… Puis le moment est venu! Ceci dit ou plutôt écrit, Michelle, tu sais comme moi que la ponctuation, ça se discute… C’est un peu une histoire de ressenti personnel, en plus des règles.
Je te remercie Laura pour tes conseils concernant la virgule, ils sont précieux. Je relirai mon roman et les insérerez aux bons endroits, mais j’ai toutefois du mal avec le point virgule. Je comprend la règle mais quand viens le temps de m’en servir, j’hésite tellement que je passe.
Merci a toi!
Alors Jean, il faudrait que j’écrive un jour un petit article à propos du point-virgule. Bonnes corrections, et pense à ta respiration. La virgule permet de respirer quand on lit une phrase un peu longue. Elle doit venir naturellement. Lis à voix haute, ça peut t’aider.
Laure, quant à moi, même à l’école, je n’ai jamais réussi à comprendre l ‘ intérêt du point virgule. Alors je ne l’utilise jamais. Et quand j’en vois un dans un roman et que je m’y attarde, c’est toujours pour arriver à la même conclusion, à savoir que la virgule aurait aussi bien fait l’affaire.
Christine, j’aime beaucoup le point-virgule ! Je l’utilise souvent. Les deux points aussi. Et l’exclamation. En fait, je me sers de toute la palette. J’aime mettre la ponctuation. J’aime donner un rythme qui colle à ce que j’ai à dire. Donc il faut que je fasse un ajout concernant le point-virgule. Ce sera utile.
Merci Laure. Il ne m’a m’échappé pas que tu aimes beaucoup le point-virgule 🙂
Bonjour,
C’est vraisemblablement une belle leçon de grammaire que tu nous donnes, ave un texte proustien comme départ et moyen de support pédagogique, et qui a pour titre ce signe insigifiant au point de vue graphique, mais qui pèse lourd sur le devenir du sens de la phrase. Le choix de ce texte n’est nullement fortuit, lorsqu’on a affaire à quelqu’un qui savait jouer avec les mots. Heureusement la virgule est là, comme repère, pour ne pas se perdre dans les dédales tantaculaires d’une phrase qui prend l’allure d’un texte entier d’un conte de G. de Maupassant. Du reste, pour porter mon humble contribution dans ce blog, disons que, outre son rôle décisif pour déterminer le sens de la phrase, sa particularité à donner un rhytme lyrique à une idée, comme on le ressent concrètement dans les textes de Flaubert (Salammbo), ce géant de la littérature qui passait une nuit entière à donner du charme à une phrase. Le point 12 illustre mon idée comme un art qui n’est pas assiminable par une règle grammaticale. Merci laure pour ta leçon, on en a vraiment besoin.
Err. assimilable.
A propos du point-virgule, je crois que Jean a raison. Moi aussi quelquefois j’hésite. Il y a vraiment difficulté à se décider entre le point-virgule et le point lorsque deux idées qui s’enchaînnent, qui sont solidaires et qu’on arrive pas à les séparer, surtout lorsqu’on a affaire à une longue phrase. Lorsqu’on lit et on relit la phrase, dans beaucoup de cas, on arrive à se débarrasser de ce facheux doute. Une bonne leçon sur ce sujet est souhaitable. Bonne journée à tous.
C’est curieux Elhadj, j’adore mettre la ponctuation, elle m’est plutôt naturelle. Je suis donc surprise par toutes les questions autour de ce thème qui semble une vraie problématique pour nombre de personnes ! Je m’en vais donc écrire un petit quelque chose sur le point-virgule dès que je trouve le temps. Tu as raison : ça semble indispensable.
Bon article… Je contourne la difficulté en travaillant avec ma co-auteure, et nous lisons à voix haute, et à tour de rôle, ce que j’écris (avant qu’elle ne passe avec ses ciseaux). Et le phrasé nous impose « naturellement » la position d’une (ou plusieurs) virgules dans la phrase…
Bonne continuation.
Merci Sylvain ! Oui, l’oreille est très utile pour la ponctuation. Quand j’ai un doute, je fais de même, je lis à haute voix et c’est le déclic.
A bientôt.
Laure, tu dis une chose très juste. « La virgule c’est la respiration « . Alors je te cite une phrase de Romain Gary : « Là -dessus il s’éloigna précipitamment en rengainant son revolver et disparut derrière le café en discutant vivement avec le soldat qui était venu le chercher ». » LES MANGEURS D’ÉTOILES » Page 124. Il ne t’aura pas échappé que je n’ai pas été « invitée » à respirer. Ceci dit je l’ai fait, parceque je manquais franchement d’air. Ce genre de phrases m’interpellent, ( et chez lui ce n’est pas la première que je le constate, et ce n’est pas la plus longue), car je me demande si je dois voir derrière cette « mise en apnée » une intention de l’auteur, et si oui, laquelle.
Les mangeurs d’étoiles, un roman extraordinaire comme tous les romans de Gary-Ajar : excellente lecture, Christine ! Tout dans cette phrase montre
la précipitation, la nervosité, l’agitation. On peut dire là que le manque de virgules, c’est le manque de respiration du personnage, sa précipitation. Mais c’est aussi, et surtout, l’apnée de tous les personnages de la scène, en sursis de mort. Ils viennent d’y échapper, et il n’est pas encore sûr qu’on ne finisse pas par les canarder… On comprend qu’ils respirent mal. Donc toi, lectrice, tu dois mal respirer pour sentir la scène physiquement. Je me trompe peut-être mais c’est comme ça que je vois la chose. Oui, je crois que c’est volontaire.
Si c est volontaire, et je le pense, c’est réussi, car j’ai vraiment eu l’impression d’étouffer. Ton interprétation est sans doute juste, Laure, mais personnellement je n’apprécie pas trop ces « mises en apnée « .
Bonjour,
Il n’y a aucune curiosité là-dessus. Je crois que c’est un malentendu. La pontualité est incontournable pour préciser le sens, sinon le flou prend le dessus. Et je suis mal placé pour y donné mon avis. C’est une tâche réservée aux académiciens. J’ai seulement porté ma contribution pour enrichir le débat sur ton article. On attend ce qui va se passer avec le sournois point-virgule. Merci et bonne journée.