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Romain Gary
L’immense Romain Gary a été couronné deux fois par le prix Goncours – et on ne peut avoir le concours qu’une fois !
Il le fut pour Les racines du ciel, à mon sens le premier roman écologique ! En 1956, la conscience écologique du monde était nulle.
Il le fut également pour La vie devant soi, sous le pseudonyme d’Emile Ajar, en 1975. Autre chef-d’oeuvre, profondément émouvant.
J’ai quasiment tout lu de Romain Gary, Emile Ajar, Fosco Sinibaldi et Shatan Bogat. Le même homme ! Tout y est d’une intensité, d’une sensibilité, d’une intelligence, d’une ironie fabuleuses. Je crois que c’est le plus humain des écrivains que j’ai jamais lu. Et l’un de mes préférs assurément. J’admire toute son œuvre qui est une succession de chef-d’oeuvres et l’homme : aviateur, résistant de la première heure, compagnon de la Libération, ambassadeur, mari de Jean Seberg, et j’en passe…
Cet incroyable passage du roman Les mangeurs d’étoiles se déroule dans une république des bananes sud-américaine :
Au-dessus de sa tête, les ombres tordues des cactus se penchaient sur son front et les rocs avaient des formes étranges qui semblaient parfois s’animer, prendre vie, lui faire signe. Mais ce n’était qu’une illusion et la soif vous fait toujours voir des sources qui ne sont pas là. Peut-être, après tout, que la terre appartenait aux hommes et qu’il n’y avait rien d’autre, pas de puissance, pas de mystère, et que le monde n’était fait que de boîtes de sardines vides, de machines américaines et de Coca-Cola. Peut-être le monde n’était-il qu’un immense lieu de stockage de matériel où se déversait les surplus militaires américains. Les Espagnols avaient toujours menti et sans doute leurs curés avaient-ils menti aussi et n’y avait-il ni Bien ni Mal, ni Dieu ni Diable, pas de talent véritable et tout-puissant, uniquement un immense lieu de vidange pour les surplus américains. Il n’arrivait pas à le croire. Malgré sa fatigue, malgré l’extraordinaire facilité avec laquelle les jeunes officiers idéalistes et bien intentionnés et les étudiants sans Dieu ni Diable l’avaient renversé, la foi ne l’abandonnait pas. Ses ennemis l’avaient souvent accusé de cynisme, et il s’était fait expliquer ce mot. Il n’était pas cynique. Il n’y avait que les nouveaux officiers et les étudiants qui étaient cyniques dans ce pays. Ils ne croyaient à rien, seulement aux hommes.
Les intellectuels, les « élites » l’avaient toujours appelé derrière son dos « le mangeur d’étoiles ». C’était une allusion à ses origines de Cujon, car c’était le nom qu’on donnait, dans les vallées tropicales d’où il venait, aux Indiens qui se droguaient à la mastala, au mescal et, dans les montagnes, à la cola. Mais les Indiens n’avaient rien d’autre à se mettre sous la dent, et la mastala les rendaient très heureux, leur donnait des forces et leur permettait de voir Dieu dans leurs visions et de constater de leurs propres yeux qu’un monde meilleur existait vraiment. Ses ennemis croyaient l’insulter ainsi, ils croyaient que le « mangeur d’étoiles » était un terme blessant et humiliant, mais eux-mêmes se droguaient continuellement, bien que ce ne fût pas avec du mescal ou avec de la cola. Ils se droguaient avec toutes sortes de belles idées qu’ils se faisaient d’eux-mêmes et leur talent, des hommes et de leur puissance, de ce qu’ils appelaient leur civilisation, leurs maisons de la culture, avec le matériel des surplus américains qui couvrait déjà toute la terre et qu’ils envoyaient maintenant tourner autour de la lune, à la recherche d’endroits toujours nouveaux où ils pourraient déverser leurs ordures. Ils se droguaient beaucoup plus que les Indiens, et eux non plus ne pouvaient se passer de leurs drogues et se voyaient tout-puissants dans leurs visions, maîtres de l’univers. Une haine profonde le saisit et il serra les poings.
Les mangeurs d’étoiles, Romain Gary
Sur les femmes, il s’explique dans Le sens de ma vie –et c’est magnifique :
La seule chose qui m’intéresse, c’est la femme, je ne dis pas les femmes, attention, je dis la femme, la féminité. Le grand motif, la grande joie de ma vie a été l’amour rendu pour les femmes et pour la femme. Je fus le contraire du séducteur malgré tout ce que l’on a bien voulu raconter sur ce sujet. C’est une image totalement bidon et je dirais même que je suis organiquement et psychologiquement incapable de séduire une femme. Cela ne se passe pas comme ça, c’est un échange, ce n’est pas une prise de possession par je ne sais quel numéro artistique de je ne sais quel ordre, et ce qui m’a le plus inspiré donc dans tous les livres, dans tout ce que j’ai écrit à partir de l’image de ma mère, c’est la féminité, la passion que j’ai pour la féminité. Ce qui me met parfois en conflit avec les féministes puisque je prétends que la première voix féminine du monde, le premier homme a avoir parlé d’une voix féminine, c’était Jésus-Christ. La tendresse, les valeurs de tendresse, de compassion, d’amour, sont des valeurs féminines et, la première fois, elles ont été prononcées par un homme qui était Jésus. Or il y a beaucoup de féministes qui rejettent ces caractéristiques que je considère comme féminines. En réalité, on c’est toujours étonné du fait qu’un agnostique comme moi soit réellement attaché au personnage de Jésus.
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Je trouve que ce que j’ai fait de plus valable dans ma vie, c’est d’introduire dans tous mes livres, dans tout ce que j’ai écrit, cette passion de la féminité soit dans son incarnation charnelle et affective de la femme, soit dans son incarnation philosophique de l’éloge et de la défense de la faiblesse, car les droits de l’homme ce n’est pas autre chose que la défense du droit à la faiblesse.
Le sens de ma vie, Romain Gary
Guimard Paul
Ecrire sur l’aveuglement humain et son peu d’aptitude au bonheur avec des mots simples mais émouvants :
« J’aurais dû, tout à l’heure sur la route, prendre le temps de regarder avec intensité l’eau et le vent, les arbres et cet enfant minuscule qui courait à la lisière d’un bois et les roses devant la ferme. L’inattention des vivants est confondante. En fait, on ne voit que ce qui s’inscrit dans le champ des œillères de nos préoccupations du moment. As-tu remarqué ? Lorsqu’on possède une voiture neuve, fût-elle d’un modèle rare, on ne voit plus que les voitures de cette marque. Après mon accident de Tripoli, quand je marchais avec des cannes, Paris était peuplé d’infirmes. Il y a cent fois plus de barbus si l’on se laisse pousser la barbe. On ne fait que projeter autour de soi son petit cinéma intime. Je l’ai souvent constaté à l’occasion de procès où dix témoins, face au même événement, n’en avaient retenu chacun que le détail ou la péripétie correspondant à son état d’âme de l’instant. Ce phénomène de vision sélective est universel et sa puérilité me consterne. Tant de merveilles prodiguées vainement devant des yeux à demi clos ! »
Les choses de la vie, Paul Guimard
Claude Sautet en a tiré un film en 1969, avec les mythiques Romy Schneider et Michel Piccoli. Il a énormément plu et je dois dire que je ne l’ai jamais vu ! Une erreur à réparer… Le roman, lui, m’a touché par ses petites réflexions, posées par touches, discrètes mais profondes. Oui, c’est cela : une littérature discrète mais profonde.
Le DVD du film de Claude Sautet
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